Il existait un pavillon
de chasse à Chambord - sans doute une petite forteresse
- avant 1518, propriété des comtes de Blois.
André Félibien, sieur des Avaux et historiographe
des bâtiments du roi Louis XIV, rapportait en 1681 :
" le chasteau de Chamborg est situé à quatre
lieues de Blois, dans une plaine où passe la petite
rivière du Cosson qui vient de la Sologne et va se
rendre dans la Loire. C'estoit autrefois une maison où
les anciens comtes de Blois alloient prendre le divertissement
de la chasse. "
Le roi François
Ier (1515-1547) adorait l'endroit et décida d'y faire
édifier une somptueuse résidence à compter
de 1519. Les plus prestigieux architectes se penchèrent
sur ce projet, au premier rang desquels, bien qu'il n'en existe
aucune preuve formelle, se tenait certainement le fameux Léonard
de Vinci. Le chantier pharaonique débuta par la construction
de la partie centrale appelée " donjon ".
Dans un étonnant paradoxe, alors que son trésor
était en permanence à sec, le dispendieux souverain
ne lésina guère sur la dépense lorsqu'il
s'agissait d'embellir Chambord. Il songea même un instant
à détourner le cours de la Loire (à quatre
kilomètres de là !) pour amener l'eau au pied
de son rêve de pierre. Sans doute dissuadé par
ses ingénieurs effrayés par le défi technique,
il se contenta de faire dévier l'un des petits affluents
du grand fleuve, plus proche et moins capricieux : le Cosson.
Les travaux se poursuivirent durant tout le règne du
prince à la salamandre. Ils ne furent interrompus qu'en
1524 et 1525, après sa défaite de Pavie (Italie)
et sa captivité - dorée - madrilène.
Son fils Henri II (1547-1559) poursuivit l'uvre paternelle,
mais le château de Chambord ne fut jamais achevé.
Pratiquement inoccupé
après 1576, il tombait en ruine dès les premières
années du XVIIe siècle. Louis XIII l'octroya
avec le comté de Blois en 1626 à son frère
Gaston d'Orléans, également bâtisseur
d'une aile splendide du château de Blois. Gaston s'attacha
à restaurer la vieille demeure. Un devis daté
de 1641 atteste d'un état de délabrement assez
avancé : " Les plafonds sont ruinés, pourris
et corrompus par les eaux gelées. " A la mort
de Gaston en 1660, le domaine rénové revint
derechef dans l'escarcelle de la monarchie. Louis XIV appréciait
visiblement le séjour et s'y fit aménager de
magnifiques appartements. Molière donna notamment dans
la salle des gardes la première représentation
de son " Bourgeois Gentilhomme " (1670).
Le palais passa ensuite de mains en mains au gré de
la volonté royale. Il fut successivement octroyé
par Louis XV à son beau-père Stanislas Leszcynski
(de 1725 à 1733), roi déchu de Pologne, puis
au Maréchal de Saxe (de 1745 à 1750), en récompense
pour sa victoire de Fontenoy du 11 mai 1745. Abandonné
après la mort de Hermann Maurice de Saxe, Chambord
délaissé se dégrada à nouveau
rapidement.
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La Révolution
Française le déshabilla de ses derniers oripeaux
et certaines voix s'élevèrent pour réclamer
que ce symbole de la mégalomanie monarchique soit purement
et simplement détruit. L'administration départementale
demanda à la Convention en 1792 " de transformer
ce repère de vautours en habitations de bons patriotes.
" La pétition préconisait " que le
cy devant château de Chambord soit rayé et démoli
en entier et que l'acquéreur des matériaux soit
tenu de bâtir cinquante habitations composées
de deux chambres, une écurie et un grenier. "
Seul au bout du compte le mobilier sera pillé et dispersé.
Miraculeusement
sauvé de la disparition, Napoléon Ier offrit
la grandiose ruine au maréchal d'Empire Berthier, vainqueur
de la bataille de Wagram (1809). Mai celui-ci n'eut guère
les moyens financiers nécessaires à la remise
en état des lieux et sa veuve le vendit en 1820. Une
souscription nationale fut lancée et la somme recueillie
permit de l'acheter pour l'offrir au petit-fils de Charles
X, le jeune comte Henri de Bordeaux. La chute des Bourbons
en 1830 (les Trois Glorieuses) le contraignit à l'ostracisme
avec sa mère et le château fut abandonné
pour la troisième fois.
Chambord fut une
dernière fois mêlé à l'Histoire
de notre pays après la défaite française
de 1870-1871 et la chute du Second Empire. La question de
la restauration monarchique se posa alors, encouragée
par un fort parti royaliste emmené par le maréchal
Mac-Mahon. On rappela en France le duc de Bordeaux et comte
de Chambord, exilé depuis 1830 au château autrichien
de Frohsdorf. Henri de Chambord choisit aussitôt de
vivre dans la demeure dont il portait fièrement le
nom. Il y publia en 1871 un " Manifeste aux Français
" dans lequel il refusait de reconnaître le drapeau
tricolore et proclamait haut et fort son attachement à
la bannière blanche de ses ancêtres : "
Henri V, écrivit-il, ne peut abandonner le drapeau
blanc d'Henri IV. " Cette intransigeance lui coûta
le trône qui s'offrait pourtant à lui et la France
choisit définitivement la voie républicaine
(1873). La " Gueuse " (Ainsi les royalistes qualifiaient-ils
la République) triomphait heureusement et Henri de
Bordeaux reprit définitivement le chemin de Frohsdorf,
où il mourut en 1883. Chambord fut à nouveau
abandonné à la forêt.
L'État
racheta le château et son domaine aux héritiers
du comte Henri, en 1930. Et c'est paradoxalement La Gueuse
tant décriée qui restaura heureusement ce joyau
de la première Renaissance française.
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