Les origines :
Le roi Henri II mourut
en 1559 dans l'hôtel des Tournelles, s'élevant
près de la bastille Saint-Antoine (à l'est de
Paris). Sa veuve, Catherine de Médicis, prit dès
lors le lieu en horreur et s'en alla habiter au Louvre. Elle
planifia dès 1563 la destruction pure et simple des
Tournelles et envisagea en contrepartie la construction d'un
nouveau palais digne d'elle, à l'ouest de Paris cette
fois. Elle jeta son dévolu sur une plaine appelée
" la Sablonnière ", située au-delà
de la vieille enceinte urbaine de Charles V. Il s'agissait
alors de terrains plus ou moins vagues, partiellement occupés
par des ateliers de potiers ou de tuiliers. Tous ces bâtiments
furent rasés et les travaux de l'édifice débutèrent
en 1564.
Catherine de Médicis
recourut aux services de l'un des architectes les plus réputés
du temps : Philibert Delorme (Anet,
Chenonceau, Fontainebleau,
Saint-Germain-en-Laye,
Saint-Maur). Philibert
traça les plans et dirigea les premières années
du chantier, jusqu'à sa disparition en 1570. Il s'était
dès l'origine entouré d'autres noms prestigieux,
tels que Germain Pilon, Jean Goujon (Louvre, Anet, Ecouen)
et surtout Jean Bullant (Ecouen, Fère-en-Tardénois).
C'est ce dernier qui poursuivit l'uvre du maître.
Les plans de Delorme
prévoyaient à l'origine 4 bâtiments entourant
une cour carrée. Seule l'aile occidentale fut réalisée.
Elle était composée d'un pavillon central couronné
d'une sorte de dôme, appelé pavillon de l'Horloge.
L'extrémité de l'aile sud reçut également
un pavillon (pavillon Bullant, vers la Seine), pendant que
l'aile nord demeurait inachevée. Bien vite en effet
les travaux cessèrent, Catherine de Médicis
ayant finalement décrété de ne jamais
loger dans ce palais en gestation. Le bâtiment somptueux
fut quelque peu délaissé jusqu'en 1607.
Les Bourbons :
A cette date, le
roi Henri IV décida de relier le Louvre aux Tuileries
au moyen d'une longue galerie bordant la Seine. Il s'agit
de la Grande Galerie, également appelée galerie
du Bord de l'Eau. Il en confia la réalisation à
Jacques II Androuet du Cerceau. Elle s'achevait par le pavillon
de la Rivière (nommé plus tard pavillon de Flore),
lui-même relié au pavillon Bullant par un bâtiment
appelé Petite-Galerie.
La mort d'Henri IV
en 1610, ouvrit pour les Tuileries une nouvelle période
de désaffection. Louis XIV sembla s'y intéresser
un temps et chargea en 1659 les architectes Louis Le Vau (Le
Louvre) et François d'Orbay de compléter la
partie nord. On éleva le pavillon Pomone (appelé
ensuite de Marsan), pendant du pavillon de Flore et relié
à l'ensemble par la galerie des Machines (pendant de
la Petite-Galerie). Les architectes s'employèrent aussi
à rendre cet ensemble composite plus homogène
sur le plan architectural et ornemental. Des projets de galerie
au Nord, afin de constituer le pendant de la galerie du Bord
de l'Eau, furent mis à l'étude. Mais déjà
le regard du souverain se tournait vers Versailles. L'achèvement
du complexe royal Louvre-Tuileries perdit son attrait et s'égara
sous une pile de vieux documents poussiéreux.
Les Tuileries devinrent
le lieu de résidence d'une partie de la cour. Louis
XV y vécut ses jeunes années. On construisit
à son intention, derrière les écuries,
un vaste manège qui allait jouer un rôle important
quelques décennies plus tard. Mais les lumières
de la cour brillaient désormais à Versailles
et les Tuileries n'avaient qu'une importance relative aux
yeux des souverains successifs.
Devant le palais
des Tuileries, en direction du ponant, s'étirait un
immense jardin à la Française. Il emmenait vers
la place Louis XV, devenue depuis place de la Concorde. Le
parc fut prolongé par une longue promenade bordée
d'arbres plantés par Le Nôtre (1640). L'arc de
Triomphe et les Champs-Elysées, aménagés
tout au long du XIXe siècle, viendront " urbaniser
" cette perspective exceptionnelle visible depuis l'esplanade
des Tuileries.
L'ère des
révolutions :
C'est sous la Révolution
que les Tuileries sortirent de leur relatif anonymat pour
entrer dans l'Histoire, prenant ainsi une forme de "
revanche " sur la désaffection des siècles
passés. Après les premières révoltes
populaires de l'année 1789, la famille royale fut ramenée
sous bonne escorte depuis Versailles, et installée
en résidence surveillée dans le vieux palais
de Catherine de Médicis (6 octobre 1789). L'Assemblée
Nationale la suivit et prit provisoirement ses quartiers à
l'archevêché de Paris (19 octobre 1789). Afin
de mieux contrôler le roi, les parlementaires vinrent
s'installer dans l'ancien manège des écuries
royales des Tuileries. Il s'agissait de la seule salle assez
vaste pour accueillir les nombreux députés de
la Nation. Elle bénéficia des aménagements
adéquats, mais présentait des défauts
structurels qui condamnaient sa à vocation à
court terme : acoustique déplorable rendant complexes
les joutes oratoires ; conservation permanente des odeurs
liées à son ancienne fonction ; forme en longueur
compliquant les débats. Sous ses voûtes néanmoins,
s'écrivirent les pages les plus fameuses de la Constituante,
de l'Assemblée Nationale et de la Convention. Sa carrière
parlementaire dura du 7 novembre 1789 au 9 mai 1793. Elle
connut notamment la proclamation de la République (21
septembre 1792), le procès de Louis XVI [faire lien]
(décembre 1792 - janvier 1793) et les premiers pas
vers la Terreur (printemps 1793).
La famille royale
vécut donc aux Tuileries jusqu'aux événements
du 10 août 1792. A cette date, le peuple de Paris en
armes se rua à l'assaut du palais, massacrant la garnison
et pillant les appartements royaux. Louis XVI et les siens
se réfugièrent dans la salle du Manège
pour échapper à la vindicte populaire. Cette
journée mit un terme définitif à la première
tentative d'établir une monarchie constitutionnelle
en France. On proclama la République et les Bourbons
furent envoyés attendre leur jugement à la prison
du Temple.
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La nature ayant une
sainte horreur du vide, les nouvelles institutions républicaines
colonisèrent les anciens locaux royaux. La Convention
élut domicile dans l'aile nord, dans la galerie des
Machines à compter de mai 1793. Là les Girondins
livrèrent leurs ultimes batailles politiques avant
de monter à l'échafaud. Le redoutable Comité
de Salut Public s'établit dans les anciens appartements
de Marie-Antoinette, au rez-de-chaussée de la Petite
Galerie. La Terreur s'orchestra depuis les Tuileries. Mais
c'est aussi dans la galerie des Machines que s'ourdit le complot
destiné à abattre Robespierre et ses partisans.
Le retour des princes
:
Les Tuileries n'en
avaient pas pour autant terminé avec les fastes princiers.
Le consul Napoléon Bonaparte s'y installa à
compter de 1800. Il prit ses aises dans l'ancien appartement
du roi, marchant ainsi, en quelque sorte, dans les pantoufles
des Bourbons. De nombreux aménagements furent alors
réalisés : construction de l'arc du Carrousel,
de l'aile nord fermant la cour du Carrousel, agencement d'un
théâtre dans l'ancienne salle des Machines. Les
comédiens remplacèrent les parlementaires. Le
20 mars 1811, l'héritier impérial naquit au
palais.
A la chute de l'Empire,
comme pour exorciser la parenthèse révolutionnaire,
Louis XVIII s'installa à son tour dans les lieux. Il
eut même le privilège d'y mourir paisiblement,
ce qu'aucun de ses prédécesseurs ou successeurs
n'eut la possibilité de réaliser. Charles X
fut en effet contraint d'abandonner les lieux précipitamment
à l'occasion des Trois Glorieuses (27, 28, 29 juillet
1830). Son successeur et cousin, l'Orléans Louis-Philippe,
n'eut guère plus de chance et s'enfuit à son
tour après son abdication de février 1848. Chaque
fois le palais fut pris d'assaut par les émeutiers
et pillé de fond en comble.
Napoléon III
rétablit les Tuileries comme résidence impériale
et c'est à lui que revint le privilège d'accomplir
le rêve de ses devanciers. Il acheva la galerie nord
et relia enfin complètement le Louvre et les Tuileries.
C'est sous son règne que le palais atteignit son apogée.
L'embellie fut cependant de courte durée. La défaite
de Sedan contre les Prussiens en 1870 précipita la
chute du Second Empire et le siège de Paris enfanta
la Commune. Les Communards régnèrent dans ces
lieux où ils organisèrent des fêtes ou
des concerts, avec l'intention toutefois de détruire
ce palais qui avait incarné la Nation depuis un siècle,
indépendamment des régimes politiques. Le matin
du 24 mai 1871, sous la menace des Versaillais emmenés
par Thiers, les fédérés boutèrent
le feu aux bâtiments. La bibliothèque aux 80
000 volumes partit aussi en fumée ! L'incendie dura
trois jours. Les murailles calcinées restèrent
en élévation jusqu'en 1883, date à laquelle
on les rasa définitivement. Quatre fois prises d'assaut
par le peuple en colère, quatre fois pillées
: la destinée des Tuileries fut couverte par les hurlements
de la foule et s'écrivit désormais dans la cendre
froide.
Une reconstruction
?
Etrange devenir que
celui de ce palais d'exception, dès l'origine délaissé
par les rois et les reines, devenu le centre d'un pouvoir
révolutionnaire, puis le haut lieu de la monarchie
restaurée et de l'Empire triomphant. C'est cette dernière
image qui précipita sa destruction par des fédérés
désireux, avant d'être passés par les
armes, d'éradiquer tous les symboles du Second Empire.
Louise Michel avait donné le ton en affirmant : "
Paris sera à nous ou ne sera plus. " Il fallut
après la Semaine Sanglante une grosse décennie
de houleux débats parlementaires, pour prendre la décision
de mettre à bas la vieille carcasse noircie. Et 130
années après leur destruction, les passions
autour des légendaires Tuileries demeurent toujours
aussi vivaces.
Plusieurs associations
militent constamment pour leur reconstruction. On reproche
à certaines des intentions politiques voilées,
animées par une certaine nostalgie pour le Second Empire.
On parle également beaucoup d'intérêts
financiers. Nous n'avons pas d'avis sur ces différentes
questions.
Il y a deux points
qui heurtent en revanche profondément nos convictions.
La France d'abord, est un pays couvert de milliers de monuments
exceptionnels, souffrant cruellement d'une indigence chronique
de moyens. Gageons que la crise financière et économique
secouant nos maigres finances, n'améliorera guère
la situation. Dans " un état en situation de faillite
", où la tendance dominante en matière
patrimoniale est " on ne pourra pas tout sauver ",
la question de la reconstruction des Tuileries doit-elle véritablement
s'inscrire à l'ordre du jour ? Cette volonté
de recréer ensuite, soulève le problème
de la valeur intrinsèque d'un tel ouvrage.
Les murs de nos
monuments authentiques suintent l'Histoire et sont peuplés
d'esprits du passé. Quels fantômes pourront bien
errer dans les couloirs flambants neufs de Tuileries "
made in " XXIe siècle ? Certainement pas ceux
de Louis XVI, de Marie-Antoinette, de Robespierre ou de Danton,
de Louis-Philippe ou des deux Napoléon, des incendiaires
philistins Bénot, Bourdin et Bergeret. Nous aurions
certes nous-aussi aimé nous promener dans les salles
parcourues par les révolutionnaires du 10 août
1792, et imaginer Saint-Just à la tribune de la salle
des Machines. Mais l'Histoire, la grande, en a décidé
autrement. Nous n'avons d'autre choix que de nous en accommoder,
parce que ce passé révolu ne se réécrira
pas avec quelques grues, des bétonneuses et une noria
d'auges de plâtre...
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