Origines lointaines
:
Coucy fut sans doute
très tôt une propriété du siège
épiscopal de Reims. Selon la « Vie de Saint Rémi
», long poème de plus de 8000 vers composé
à la fin du XIIIe siècle par l'énigmatique
Richier, le roi Clovis aurait offert le domaine à son
mentor et conseiller.
Le château
de Coucy fut très probablement fondé dans les
premières décennies du Xe siècle. Le
chanoine Flodoard, dans son « Histoire de l'Eglise de
Reims », affirme que l'archevêque Hérivée
(900-922) « fit bâtir un fort en lieu sûr
au village de Coucy. » Cette forteresse primitive était
sans doute en terre et en bois, selon l'usage et surtout les
méthodes de construction les plus répandues
à cette époque.
Durant tout le Xe
siècle, Coucy constitua l'enjeu de luttes incessantes
opposant l'évêché de Reims aux principaux
féodaux. : Herbert de Vermandois, Hugues le Grand,
Thibault le Tricheur
Flodoard ne cesse d'évoquer
ces péripéties dans une autre de ses uvres,
ses précieuses « Annales ». Lorsqu'elles
s'achèvent, en 966, débute une longue période
d'obscurité. Les noms de Coucy et de ses châtelains
n'émergent que ponctuellement dans de trop rares documents.
La puissance des
sires de Coucy :
La lumière
revient brusquement vers la fin du XIe siècle, lorsque
la seigneurie de Coucy passa à Enguerrand de Boves
(mort en 1116). Ce turbulent seigneur se tailla une belle
réputation en s'illustrant lors de la première
Croisade. Son fils et successeur, Thomas de Marle, se distingua
d'autre manière : pillard invétéré,
il s'acharna avec un soin presque méthodique à
piller les biens des églises de Reims et Laon. Combattu
avec acharnement par Louis VI le Gros (1108-1137), il mourut
sans se repentir vers 1130. Ses successeurs portèrent
généralement le nom d'Enguerrand.
Le plus fameux entre
tous est à l'évidence Enguerrand III le Bâtisseur
(1182-1242). Il participa bravement à la bataille de
Bouvines (1214) et montra aux rois Philippe Auguste et Louis
VIII une fidélité sans faille. En revanche,
il prit une part active à la révolte des barons
durant la minorité de Louis IX et la régence
de Blanche de Castille. Une légende tenace affirme
même qu'il aurait en convoité pour son propre
compte la couronne de France. Pour affirmer sa puissance de
grand féodal, il décida de reconstruire la plupart
des châteaux lui appartenant, notamment Marle et la
Fère. Il créa également le château
de Saint-Gobain. Mais il est surtout fameux pour les travaux
gigantesques entrepris dans sa seigneurie de Coucy. Chaque
tour de la forteresse principale dépassait les tours
philippiennes (Louvre,
Dourdan, Lillebonne, Falaise,
Chinon, Verneuil-sur-Avre
).
Mais son chef d'uvre fut incontestablement la gigantesque
tour maîtresse, culminant à 54 mètres
de hauteur ! Enguerrand signifiait ainsi sa richesse, rappelait
son pouvoir aux monarques et incarnait à merveille
sa fière devise : « Roi ne suis, ne prince, ne
duc, ne comte aussi. Je suis le sire de Coucy ! »
Au temps des palais
gothiques :
Ses successeurs n'eurent
pas sa trempe. Son second fils, Enguerrand IV (1228-1311),
se signala surtout en exécutant arbitrairement trois
jeunes nobles flamands chassant par hasard sur ses terres.
Cette affaire faillit lui coûter la vie. Le moine Guillaume
de Nangis rapporte que l'intention du roi saint Louis «
était de rester inflexible et de prononcer un juste
jugement , c'est-à-dire de punir ledit sire selon la
loi du talion [ndlr : « il pour il, dent
pour dent »] et de le condamner à une mort semblable.
» Enguerrand échappa finalement au châtiment
grâce à l'intercession des grands barons et fut
seulement frappé d'une forte amende. Il mourut sans
descendance et la châtellenie passa au fils de sa sur
Alix, Enguerrand V. L'arrière petit-fils de ce dernier,
Enguerrand VII (1339-1397), s'illustra dans les combats de
la Guerre de Cent Ans et modifia profondément le château
familial dans le goût de son temps, créant l'un
de ces palais-forteresses caractéristiques de la charnière
des XIVe et XVe siècles. À sa mort, sa fille
et unique héritière, Marie de Coucy, vendit
la seigneurie et sa forteresse au prince Louis d'Orléans
(mort en 1407), frère du roi Charles VI (1380-1422).
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Une lente agonie
:
Nous possédons
deux belles représentations de Coucy à la fin
du XVIe siècle, dans l'ouvrage d'Androuet du Cerceau
consacré aux plus beaux bâtiments de France.
La forteresse y apparaît encore dans toute sa splendeur.
De sa force semble émaner un sentiment d'éternité,
de puissance inviolable.
Coucy joua encore un rôle politique et militaire durant
la Fronde et abrita temporairement des troupes rebelles à
l'autorité de Mazarin. Le cardinal donna en représailles
l'ordre de démanteler le château et chargea l'ingénieur
Métezeau de cette besogne, en 1653. L'homme mina la
tour maîtresse, faisant voler en éclats les voûtes
internes. Le colosse demeura cependant debout. Un tremblement
de terre survenu quelques années plus tard le lézarda
et cette grande fissure est parfaitement visible sur une gravure
anonyme du début du XIXe siècle.
La grosse tour de Coucy et sa fissure. BNF, fond Destailleur.
Le site servit longtemps
de carrière de pierre aux habitants du cru, jusqu'au
jour ou Louis-Philippe d'Orléans le racheta et stoppa
l'hémorragie (1829). L'architecte Eugène Viollet-le-Duc
y entreprit quelques travaux de consolidation au milieu du
XIXe siècle.
La fin :
Le crépuscule
et l'agonie de Coucy survinrent durant la Première
Guerre mondiale. Les Allemands occupèrent ville et
château durant près de 3 ans. En mars 1917, l'état
major impérial prit la décision stratégique
de reculer le front plus au nord, sur la ligne dite «
Hindenburg », et fit évacuer toutes ses armées
des positions occupées depuis 1914 dans le secteur
de l'Aisne. Les troupes germaniques dynamitèrent systématiquement
les édifices emblématiques des villes et villages
auparavant occupés. Ainsi disparurent notamment les
forteresses de Ham (somme), située non loin de là,
et de Coucy.
Date de la destruction
:
On fixe souvent la
destruction du château de Coucy au 27 mars, mais il
s'agit seulement de la date à laquelle les troupes
françaises pénétrèrent dans la
ville. L'explosion eut en fait lieu une semaine plus tôt,
le 20 mars. Le « Journal de Marche du Groupe d'Escadrons
Divisionnaires de la 70e DI », découvert par
Gaspard Kools (guide au château de Coucy), rapporte
ce jour là : « Le château de Coucy vient
de sauter. 1ere explosion à 10h45 : toute l'aile droite
du château s'effondre. 2e explosion 10h50 : toute l'aile
gauche disparait. » Un communiqué officiel français
du 20 mars 1917 à 11h00 du soir, confirme : «
Cet après-midi même, nos aviateurs ont signalé
que les ruines historiques du château de Coucy avaient
été détruites par une explosion. »
Il est publié le lendemain (21 mars) dans un certain
nombre de quotidiens nationaux, dont « Le Figaro ».
Les Allemands ne sont pas en reste. Un télégramme
du correspondant de guerre Adolf Köste pour le quotidien
« Vorwärts », daté du 22 mars, donne
des détails sur la méthode employée :
« Hier, peu avant l'entrée de l'ennemi, on a
fait sauter la ruine du château de Coucy, au nord de
Soissons. Cette ruine, avec des murs de plusieurs mètres
d'épaisseur, était un abri idéal pour
des troupes et des mitrailleurs. La destruction a été
effectuée au péril de leur vie par un officier
et quatre pionniers, qui ont mis le feu à 28 000 kilos
d'explosif. » Le texte est intégralement repris
avec cette traduction dans l'édition du journal «
La Croix » du 29 mars 1917, qui cite le « Vorwärts
». La différence de date apparente entre les
sources françaises et allemandes (20 mars contre 21
mars), s'explique certainement par la date de rédaction
du texte allemand (le 21 mars) et l'envoi réel du télégramme
(22 mars).
A la place de la plus grosse tour de la chrétienté
trône aujourd'hui un désolant amas de ruines
informes. Le lieu n'est pas pour autant dénué
de tout intérêt. Bien au contraire ! Intelligemment
remis en valeur depuis plusieurs années, les imposants
vestiges de la forteresse offrent toujours un aperçu
impressionnant de la puissance passée des sires de
Coucy. La magie de cet endroit unique affleure la surface
de chaque belle pierre savamment taillée et l'ombre
du chef d'uvre d'Enguerrand III plane toujours au dessus
des courtines dérasées et des tours éventrées.
L'imagination peut
également s'appuyer sur les nombreuses photos, gravures
et peintures antérieures à la Première
Guerre mondiale. Saluons également le beau travail
de reconstitution effectué par Cyrille Castellant.
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