Une vaste enceinte
irrégulière flanquée d'une quinzaine
de tours délimite une gigantesque basse-cour autrefois
occupée par des bâtiments résidentiels,
des communs et des jardins. Les tours ont une forme cylindrique
ou hémicylindrique. Certaines sont probablement l'uvre
des ducs-rois Plantagenêts dans la seconde partie du
XIIe siècle, les autres celle de Philippe Auguste après
1204. Ces dernières sont en général reconnaissables
à leur base pleine amplement talutée.
Dans l'angle nord-ouest,
sur une éminence rocheuse, trône un ensemble
architectural colossal des XIIe-XIIIe siècles. Il est
composé de trois parties distinctes :
1/ Le grand donjon
quadrangulaire à contreforts plats, érigé
par Henri Beauclerc en 1123 et conservé sur deux niveaux.
Son plan au sol occupe 26,60 mètres sur 22,80 mètres.
L'épaisseur des murailles oscille entre 3,15 et 3,50
mètres. Le rez-de-chaussée servait comme bien
souvent de cave à provisions avec des murs aveugles.
On pénétrait dans le bâtiment par une
porte située au premier étage. On y trouvait
à l'origine l' " aula " (la grande salle
commune), deux autres pièces peut-être à
destination résidentielle (chambre et antichambre comme
le suggère Jean Mesqui ?), et la " capella "
(la chapelle castrale), cette dernière étant
logée dans une légère excroissance de
la façade sud. L'espace intérieur était
éclairé par des baies géminées.
Il manque à ce donjon son couronnement et son second
étage qui abritait sans doute l'essentiel de la "
camera " (les appartements seigneuriaux). Les différents
degrés sont desservis par des escaliers à vis
ou en rampes droites aménagés, comme à
Loches, dans les murailles. Une restauration tragique effectuée
récemment a cependant considérablement altéré
la structure de l'édifice.
2/ Un peu plus tard
fut adjoint au grand donjon un second ouvrage rectangulaire
de dimensions plus modestes et désigné sous
le nom de " petit donjon ". Il forme à l'ouest
une sorte d'excroissance. Le cas n'est pas isolé :
on retrouve une disposition similaire un siècle plus
tôt à Loches (Indre-et-Loire) et peut-être
Langeais (Indre-et-Loire).
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3/ Les ingénieurs
de Philippe Auguste renforcèrent ce corps préexistant
par une tour circulaire appelée " Tour Talbot
", en souvenir du grand capitaine anglais de la Guerre
de Cent Ans. Elle mesure actuellement 30 mètres de
haut pour un diamètre de 15 mètres. L'épaisseur
de ses murs atteint 4 mètres et son diamètre
intérieur est donc de 7 mètres. Elle possède
6 étages voûtés en pierre et planchéiés
alternativement. On y pénètre par le deuxième
niveau qui communique avec le Petit Donjon. Sa base est légèrement
fruitée. La tour était autrefois sans doute
hourdée, mais fut pourvue de mâchicoulis sur
consoles au XIVe ou au XVe siècle comme l'atteste une
lithographie du XVIIIe ou XIXe siècle. Le couronnement
actuel fut recréé au XIXe siècle.
Nos contemporains
fustigent volontiers - souvent sans être en mesure de
réellement argumenter - les restaurations jugées
abusives effectuées en France, surtout entre 1800 et
1900. Eugène Viollet le Duc est généralement
l'une des cibles privilégiées. Marcel Proust
évoquait déjà les " déjections
" de l'architecte parisien. Notre temps a " heureusement
" mis bon ordre à tout cela.
Le magazine Archéologia,
dans son numéro 334 de mai 1997, publiait un encadré
intitulé : " le château de Falaise défiguré
". L'architecte en charge du projet de restauration depuis
1993 ne concevait pas sa tâche comme un simple devoir
de préservation, encore moins de restitution, mais
plutôt comme la nécessité de marier l'architecture
d'un monument médiéval pluriséculaire
aux canons en vigueur. Le résultat est pour le moins
saisissant. A coups redoublés de béton armé,
de toile pour les couvertures, le château fut ainsi
" réinséré " dans le XXe siècle
dont il avait sans doute le mauvais goût de ne pas émaner.
Cette réalisation hors norme pose la question essentielle
des modalités de préservation de notre patrimoine.
Cristallisation des ruines, restitution ou adaptation à
l'inspiration des goûts actuels ?
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