La fille du Lion
:
La petite rivière
Epte, affluent de la rive droite de la Seine, marquait depuis
911 la frontière entre les possessions du roi de France
et celles du duc de Normandie. Elle était bordée
sur ses deux rives d'innombrables châteaux, formant
un glacis protecteur pour chacune des deux entités
territoriales.
En 1196, Richard
Cur de Lion et Philippe Auguste concluent un accord
amputant la Normandie de sa façade orientale, en échange
de la restitution de certaines forteresses du Berry dont Issoudun
et de quelques concessions politiques. Mais le flanc de l'Empire
Plantagenêt est désormais ouvert et le roi de
France peut très vite devenir une menace pour Rouen.
Afin de contenir ce péril, Richard décide dans
le courant de l'année 1196 l'édification du
Château-Gaillard au-dessus de la ville fortifiée
d'Andeli.
Le chantier qui s'ouvre
mobilise une masse incroyable d'ouvriers, carriers, charpentiers,
menuisiers. Les défenses de la cité primitive
font l'objet d'importantes réfections. Le cours de
la Seine est barré. Des étendues cultivables
sont inondées. Un nouveau bastion connu sous le nom
de Petit Andeli jaillit du néant. L'île d'Andeli
et la presqu'île de Bernières sont fortifiées.
Enfin, au sommet de la Roche-Gaillard, à près
de 100 mètres au-dessus des eaux du fleuve, s'élève
un château défiant l'imagination par ses proportions
et sa puissance. Les travaux sont terminés en une année.
Contemplant son uvre achevée, Richard se serait
écrié : " Ah ! Qu'elle est belle ma fille
d'un an ! " Son rival capétien aurait affirmé
en retour : " Je la prendrai, fussent ses murs en fer
! ". Le Plantagenêt, jamais en reste de bons mots,
aurait rétorqué : " Je la défendrai,
fussent ses murs en beurre ! "
Durant les années
1197-1198, Philippe Auguste accumule les revers militaires.
Richard, fidèle à sa légende, démontre
ses talents guerriers hors de pair. En 1199, alors qu'il assiège
le château de Châlus (Haute-Vienne) pour mater
un vassal indocile, il reçoit un carreau d'arbalète
à l'épaule. La blessure paraît d'abord
superficielle mais finit par s'infecter : le roi est emporté
en quelques jours. Il s'éteint au pied de la forteresse
convoitée le 6 avril.
Château-Gaillard
à Philippe Auguste :
A Richard succède
son frère, Jean Sans Terre. D'un caractère pusillanime,
ce prince démontre vite son inaptitude aux affaires.
Ils possède un don particulier à s'aliéner
ses meilleurs soutiens, à se susciter des ennemis.
Philippe profite de cette faiblesse chronique et décrète
en 1202 la confiscation (commise) de la Normandie, sur des
arguments juridiques douteux mais d'une terrible efficacité.
Après quelques
violentes escarmouches durant l'année 1202, le roi
de France lance une expédition d'envergure au printemps
1203. En août, son armée campe au pied de la
Roche-Gaillard. Elle s'empare très vite des bastions
périphériques, de l'île sur la Seine et
des deux Andelis. Il se dispose alors à attaquer la
forteresse principale. Pour bloquer la place, on creuse des
fossés, on élève des talus dominés
par des tours de bois. Des machines de jet assurent un pilonnage
permanent des remparts adverses.
|
Au pied du Château-Gaillard
se déroule un épisode terrible. Pour éviter
d'épuiser trop vite ses vivres, la garnison décide
d'expulser toutes les bouches inutiles. Des hordes déguenillées,
femmes, vieillards, enfants sortent des murs et se présentent
devant les retranchements français. Ils sont impitoyablement
refoulés. Pas question non plus de retourner au château.
Les malheureux errent alors entre les deux camps ennemis,
privés de toute nourriture. On meurt de froid et de
faim. Des cas de cannibalisme sont rapportés. Le sort
de ces misérables finit par émouvoir Philippe.
Il autorise enfin leur passage, mais seule une poignée
a survécu à l'épreuve. A la guerre, les
plus vulnérables payent souvent le plus lourd tribut.
En mars 1204, après
6 mois d'un siège éprouvant, les Français
lancent enfin l'assaut. Ils comblent les fossés, sapent
les murailles du châtelet et parviennent à l'enlever.
Une poignée d'hommes repère une fenêtre
accessible par la tour des Latrines, escalade la muraille
et boute le feu. La garnison acculée ne peut plus tenir
et doit se rendre.
Le verrou forcé,
les troupes royales filent vers Rouen
et Caen, qui tombent sans
coup férir. Après trois siècle d' "
autonomie " au sens féodal du terme, la Normandie
revient à la couronne de France.
Guerre et prison
:
La forteresse devient
ensuite une prison royale. Marguerite et Blanche de Bourgogne,
épouses respectives des princes Louis de Navarre et
Charles de la Marche, deux des fils du roi Philippe IV le
Bel (1285-1314), en éprouvent la rigueur à partir
de 1314. Telle est leur récompense pour avoir osé
orner les têtes de leurs époux de belles paires
de cornes. Une couronne s'accommode toujours fort mal de pareils
attributs. Marguerite meurt de froid, de misère et
de privations l'année suivante. Blanche quitte la place
en 1325 pour entrer au couvent de Maubuisson (Val-d'Oise).
Château-Gaillard
connaît encore à plusieurs reprises le feu des
armes durant la Guerre de Cent Ans. Des sièges sont
mentionnés en 1416, 1431 et 1449.
Pendant les guerres
de Religion, Le roi Henri IV s'en empare en 1591 après
deux années de siège et ordonne son démantèlement
en 1603. Son fils Louis XIII achève l'uvre paternelle
en 1616. Les pierres du châteaux sont notamment utilisées
par les Capucins du couvent du Grand-Andeli et les Pénitents
de Saint-François du Petit-Andeli, pour restaurer leurs
couvents respectifs.
|