1- Des origines à
la conquête française
Des recherches archéologiques
menées aux XIXe et XXe siècles à Chinon
ont révélé une occupation très
ancienne de l'éperon rocheux dominant la Vienne. Les
Celtes y avaient déjà installé un oppidum,
sans doute délaissé lors de la longue ère
de paix romaine (51 av. J.-C. - 275 apr. J.-C.).
Après les
premières descentes germaniques en Gaule (275-277),
le site recouvra toute son importance stratégique et
fut de nouveau colonisé par des populations vivant
désormais dans la crainte d'agressions extérieures.
Des monnaies, des stèles funéraires et les traces
d'un mur datant approximativement de cette époque ont
été mises au jour lors de différentes
campagnes de fouilles. Le « Cainonense castrum »
est directement évoqué pour la première
fois en 446, dans le récit de l'évêque
Grégoire de Tours (fin VIe siècle) intitulé
« De Gloria Confessorum » (De la gloire des Confesseurs).
Il dépendait alors administrativement de la cité
de Tours (castrum Cainonense urbis Turonicae). Le général
romain Aegidius vint y assiéger un fort appartenant
au parti des Wisigoths, mais fut contraint de lever le camp
après la médiation de saint Maxime (Maximus).
Grégoire évoque à nouveau le castrum
de Chinon à la fin du VIe siècle. Il ne s'agissait
pas alors d'un château au sens où nous le concevons,
mais plutôt d'une petite entité villageoise pourvue
d'une solide enceinte protectrice.
Au milieu du Xe siècle,
Chinon appartenait, comme Saumur,
au comte de Blois et attisait la convoitise du comte d'Anjou
Foulques III Nerra (987-1040). C'est finalement le fils et
successeur de ce dernier, Geoffroi Martel (1040-1060), qui
s'en empara après avoir triomphé de son rival
blésois Thibaut III (1037-1089) à la bataille
de Saint-Martin-le-Beau (22 août 1044). Chinon devint
alors une place clef de la dynastie angevine, au cur
de ses immenses possessions.
Elle servit de prison
presque trente ans au comte Geoffroi III le Barbu (1060-1068)
destitué et remplacé par son frère Foulques
IV le Réchin (1068-1109). Les souverains Plantagenêts
aimaient la région au point d'établir leur nécropole
en l'abbaye voisine de Fontevraud (Maine-et-Loire), à
seulement quelques kilomètres vers l'ouest. Henri II
Plantagenêt mourut à Chinon le 6 juillet 1189.
2- Les Capétiens
à Chinon :
Après s'être
emparé de Saumur en 1203 et du Château-Gaillard
en mars 1204, Philippe II Auguste tourna ses armes vers l'Anjou.
Philippe le Breton, l'un des deux panégyristes du Capétien
(l'autre étant le moine Rigord), raconte dans sa Philippide:
« Il ramena ses escadrons bardés de fer vers
la citadelle de Chinon [
] Remplie de richesses et entourée
de fortes murailles, la ville de Chinon est en outre embellie
par un site très agréable entre l'eau et la
montagne. La citadelle, établie sur le sommet des rochers
qui l'enveloppent de toutes parts, est bornée d'un
côté par les eaux rougeâtres du fleuve
de la Vienne, d'un autre côté par une vallée
située au fond d'un horrible précipice. Par
un don de la nature, la pente de la montagne s'élève
en droite ligne vers les cieux, en sorte que le château
de Chinon se vante de n'être point inférieur
à celui de Gaillard,
tant en raison de sa position naturelle et de ses remparts
élevés, que par le nombre de ses défenseurs
et la fertilité de son sol. »
La place n'avait
pas perdu sa vocation de prison puisque Jean sans Terre, le
dernier rejeton du couple Henri II Plantagenêt - Aliénor
d'Aquitaine, y tenait encore enfermés l'évêque
de Beauvais et le chef breton Conan, surnommé le Bref.
Philippe mena simultanément les sièges de Chinon
et de Loches et obtint
la reddition des deux forteresses après une année
d'effort (1205).
Enfin en possession
de Chinon, le roi de France s'empressa de compléter
les fortifications et se garda bien de l'inféoder à
qui que ce soit. Après ses cinglantes défaites
de la Roche-aux-Moines (2 juillet 1214) et de Bouvines (27
juillet 1214), c'est là que Jean sans Terre accepta
de ratifier le 18 septembre 1214 le traité par lequel
il reconnaissait officiellement la perte de la Normandie,
du Maine, de l'Anjou et du nord du Poitou.
Chinon resta place
royale française jusqu'à la fin du Moyen Age.
Philippe IV le Bel y fit enfermer en 1308 le Grand Maître
de l'Ordre du Temple, Jacques de Molay. Aux Templiers sont
d'ailleurs attribués les graffitis couvrant les parois
d'une archère de la très philippienne
Tour du Coudray.
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3- Jeanne d'Arc à
Chinon
Pendant les heures
les plus sombres de la guerre de Cent Ans, après la
ratification du traité de Troyes (21 mai 1420), c'est
à Chinon que le dauphin Charles choisit de s'établir
fréquemment avec sa cour à compter de 1427.
Entre les murs du château se déroula en 1429
l'un des plus célèbres et des plus étranges
épisodes de l'Histoire de France. La ville d'Orléans
était alors assiégée par les Anglais
et menaçait de tomber.
Le journal d'un
anonyme bourgeois d'Orléans contemporain des faits
raconte : « Environ ces jours arriva à Chinon
Jeanne la Pucelle et ceux qui la conduisaient. Ils étaient
émerveillés d'avoir pu arriver sains et saufs,
au regard des périls qu'ils avaient rencontrés,
les rivières dangereuses franchies à gué
et la longue route qu'ils avaient accomplie, au cours de laquelle
ils étaient passés par plusieurs villes et villages
tenus par les Anglais et d'autres encore aux mains des Français
mais dans lesquels s'effectuaient d'innombrables maux et pillages.
Par quoi ils louèrent Notre Seigneur de la grâce
qui leur avait été faite, comme le leur avait
promis la Pucelle auparavant. Ils notifièrent ce fait
au roi. Celui-ci avait plusieurs fois envisagé en son
conseil que la meilleure solution était de se retirer
dans le Dauphiné (approximativement l'actuel département
de l'Isère avec Vienne pour capitale) et de s'y garder
avec le Lyonnais, le Languedoc et l'Auvergne, du moins si
on pouvait les sauver dans le cas où les Anglais s'empareraient
d'Orléans. Mais tout changea car il convoqua les deux
gentilshommes [qui accompagnaient Jeanne d'Arc] et devant
ceux de son conseil il les fit interroger sur les faits et
états de la Pucelle sur laquelle ils répondirent
en toute vérité. A cette occasion on délibéra
en conseil pour décider si on la laisserait parler
au roi. A quoi il fut décidé que oui. Et de
fait elle lui parla, lui fit la révérence et
le reconnut entre ses gens bien que plusieurs, croyant l'abuser,
feignaient être le roi. Ce fut un grand prodige car
elle ne l'avait jamais vu auparavant. »
Comme cent ans plus
tôt Jacques de Molay, Jeanne d'Arc logea à la
Tour du Coudray, dans des conditions bien moins difficiles
toutefois. La suite figure en bonne place dans tous les manuels
scolaires : Orléans délivrée, victoire
en bataille rangée à Patay, sacre du roi à
Reims, la capture de Compiègne et enfin le procès
et le bûcher de Rouen. Mais Jeanne d'Arc avait su briser
la spirale de la défaite et même sa mort ne changea
rien aux données du problèmes. La victoire avait
choisi son camp et les Anglais allaient être définitivement
chassés de France entre 1429 et 1453. A Chinon, dans
l'un des berceaux de la puissance des Plantagenêts,
dynastie anglo-angevine par excellence, la France s'est forgé
un avenir
L'Histoire ne se
montre guère avare de ce type de revirements ironiques.
Les fantômes de Richard Cur de Lion et de Henri
II Plantagenêt se lamentent sur les échecs de
leurs héritiers, pendant que ceux de Charles le Victorieux
et de son égérie canonisée chantent leur
éternel triomphe. Seuls les esprits tourmentés
de Geoffroi le Barbu et de Jacques de Molay hurlent encore,
le premier sa douleur d'avoir été emprisonné
là trente ans durant par son propre frère, le
second sa haine envers un roi qui l'a trahi, injustement accusé
lui et les siens et jeté à jamais l'opprobre
sur son nom
A Chinon plus que nulle part ailleurs, chaque
pierre témoigne d'une tragédie ou d'un salutaire
espoir. La phrase de l'écrivain normand Jean de la
Varende prend ici tout son sens: « le passé n'est
qu'un sommeil ; pour un esprit attentif et sensible tout se
ranime. »
4- Après les
heures de gloire
Philippe de Commynes,
conseiller et biographe du roi Louis XI (1461-1483), compléta
les fortifications de la vieille place. Rabelais immortalisa
l'endroit en faisant de Chinon le centre de sa guerre picrocholine.
Mais déjà s'amorçait l'inéluctable
déclin. Lent démantèlement, carrière
de pierre, le château connut du XVIIe siècle
au XIXe siècle le sort tragique commun à tant
de splendeurs médiévales à partir de
la Renaissance. Les vieilles forteresses ne faisaient plus
recette. La grande salle qui abrita la rencontre célèbre
appelée à changer la destinée de la France,
ne fut pas sauvée par sa dimension historique et disparut
à jamais. Il n'en demeure plus que le plan au sol et
le pignon ouest avec sa belle cheminée à manteau
suspendue dans le vide. Seule une plaque déposée
en 1929 rappelle l'importance des évènements
qui se sont déroulés entre ces murs.
Le classement du
site et l'acquisition par le département d'Indre-et-Loire
ont renversé la tendance et permettent aujourd'hui
la bonne préservation de ce lieu unique où se
sont écrites quelques-unes des pages les plus fameuses
de l'Histoire nationale. D'importantes restaurations menées
ces dernières années, lui ont redonné
son lustre d'antan.
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