Cette forteresse
envoûtante est parfaitement représentative de
la philosophie architecturale dominante dans les classes seigneuriales
de ce temps. Les canons popularisés par Philippe Auguste
avaient rendu caducs les grands donjons à usage d'habitation,
bien que l'on continue à en trouver ponctuellement
ici ou là entre 1200 et 1350. Dans la seconde moitié
du XIVe siècle, le roi Charles V impulsa un mouvement
inverse et réhabilita, à Vincennes notamment,
les grosses tours à vocation résidentielle.
Les membres de la noblesse suffisamment riches pour ériger
des châteaux forts se réorientèrent également
vers ce type de bâtiment. Outre l'influence constante
de la couronne de France, nous voyons à cela deux raisons
essentielles :
1/ la Guerre de
Cent Ans correspond d'abord à une période de
grave insécurité. Ce ne sont pas tant les raids
anglais qui s'avèrent dévastateurs, mais plutôt
les bandes errantes composées de mercenaires et de
traînes-misères laissés sans solde, prêts
à tout pour un morceau de pain ou quelques pièces
d'or. Un tel bâtiment suffisait généralement
à décourager une poignée, voire quelques
dizaines de maraudeurs. Il occupait une surface au sol limitée
et ne nécessitait pas une garnison pléthorique
afin d'en assurer la sauvegarde.
2/ Pour une noblesse
en pleine crise identitaire ensuite, un ouvrage de ce type
rappelait aux gens des environs, au peuple, que le seigneur
du lieu était tout puissant. En substance, ces grandes
tours qui commencèrent à pousser de nouveau
un peu partout en France après le milieu du XIVe siècle,
réaffirmaient le pouvoir d'un homme ou d'un lignage
sur une terre.
C'est dans ce contexte
que doit se comprendre Largoët. La forteresse dessine
une enceinte polygonale restreinte entourée de belles
douves autrefois totalement en eau. Larges de 20 mètres,
elles atteignent 10 mètres de profondeur. Un double
pont-levis à flèches (charretier et piétonnier)
permettait de les enjamber. Ces accès sont surmontés
des armoiries des Rieux. Le châtelet d'entrée
est composé de deux tours cylindriques datant du XIIIe
siècle et d'un avant-corps droit bâti après
l'acquisition de la place par ces mêmes Rieux.
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Une imposante tour
ronde pourvue de canonnières trône au nord-ouest.
Seuls le rez-de-chaussée et le sommet sont destinés
à la défense. Les niveaux intermédiaires
avaient en revanche une vocation résidentielle. Sa
construction est également attribuable aux Rieux. Des
logis aujourd'hui ruinés s'appuyaient sur la courtine
nord.
Ces structures sont
dominées par la colossale tour maîtresse. De
plan octogonal, elle s'élève encore sur plus
de 44 mètres de hauteur par rapport au niveau de la
cour, 54 mètres depuis le fond des douves. Sa base
est légèrement talutée en degrés.
Sa plus grande largeur atteint 24 mètres et ses murs
7 mètres d'épaisseur au rez-de-chaussée.
Elle avait son fossé propre et était isolée
du reste de la place par un petit pont-levis. Son volume intérieur
se décomposait horizontalement en plusieurs niveaux
planchéiés et chauffés, chacun constituant
un vaste appartement confortable et chauffé avec pièce
de vie, chambre et garde-robe ! Un oratoire à deux
chapelles avait été aménagé au
3e étage. Le fût avait également été
scindé sur toute sa hauteur en trois parties distinctes,
de formes respectivement carrée (la plus grande, au
centre), triangulaire et polygonale irrégulière.
Les communications verticales étaient assurées
par deux vis : la première était surtout réservée
à la domesticité et desservait également
des latrines, la seconde était une vis d'apparat. On
admire encore au sommet de cette tour de beaux mâchicoulis
bretons (en pyramides renversées).
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