Seul le plan du château
a encore quelque rapport direct avec l'architecture militaire
et résidentielle du début du XVe siècle.
Articulé autour d'un donjon carré résidentiel,
il s'agit d'un grand quadrilatère presque rectangulaire
scandé de huit tours à dominante ronde. Les
deux plus massives sont hémicylindriques (Tours Jules
César et Judas Maccabée). Pierrefonds s'inscrit
donc bien dans l'esprit de son temps (fin du XIVe siècle)
avec l'adoption de formes géométriques simples,
de flanquements circulaires et une recherche absolue du confort
des occupants. On y trouvait une grande salle, les appartements
ducaux avec des latrines. Aucun autre des bâtiments
adossés dans la cour au contre-parement n'existaient
à l'origine. Comme l'attestent plusieurs lithographies
et photographies, le château était en ruine lorsque
Napoléon III se pencha sur son sort.
Cette redécouverte
du château de Pierrefonds, concomitante à celle
de nombreux autres monuments du Moyen Age, intervient après
des lustres de mépris total envers les vieux édifices
" féodaux ". Verrues indésirables
dans le paysage pour certains, symboles d'un régime
d'oppression pour les autres, la plupart avaient été
vendus comme biens nationaux durant la Révolution et
dépecés afin de récupérer les
belles pierres taillées. Au début du XIXe siècle,
à titre d'exemple, un brillant esthète du nom
de Jean-Baptiste Lefort faisait sauter sans vergogne le cur
de l'abbatiale Notre-Dame de Jumièges. " Ce siècle
avait deux ans "
et l'explosif facile
Mais à peu
près vers cette même époque, le courant
romantique commença à chanter ces anciennes
bâtisses mélancoliques. Ecrivains et peintres
y puisèrent une part de leur inspiration. Chacun se
souvient de la description de l'austère forteresse
de Combourg sous la plume de Chateaubriand, ou des magnifiques
forteresses imaginaires dessinées par Victor Hugo.
Des historiens, tel Jules Michelet, se remémorèrent
qu'il existait mille ans d'histoire coincés entre l'Antiquité
et la Renaissance. Doucement des voix s'élevèrent
pour rappeler que l'architecture ne se limitait pas aux seules
conceptions d'Hippodamos de Milet, de Vitruve ou plus récemment
à celles de Le Vau ou de Mansard.
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Viollet-le-Duc faisait
partie de cette avant-garde. Il amassa une impressionnante
somme de connaissance sur la culture et la société
médiévales. Avec les moyens de son temps, en
véritable défricheur, il a entamé en
compagnie de quelques autres un patient travail de revalorisation
du patrimoine. Les critiques ont pourtant très vite
fusé, parfois d'une grande virulence. Un Marcel Proust,
notamment, parlait des " déjections de Louis-Philippe
et de Viollet-le-Duc. "
A Pierrefonds, il
métamorphosa complètement les vestiges en forteresse
de conte de fées. Il restitua selon son idée
tours et courtines avec un chemin de ronde sur mâchicoulis,
recréa le pont-levis, inventa la cour d'honneur avec
sa galerie. Il y créa un escalier à double révolution,
inspiré de celui de Chambord, multiplia les sculptures
et composa ainsi un bestiaire fabuleux. Dans le donjon carré
il logea les appartements impériaux, avec salle de
réception, cabinet de travail, chambre digne du rang
du propriétaire des lieux. L'ensemble est lambrissé,
peint, armorié. La pièce principale est l'immense
Salle des Preuses, destinée aux réceptions impériales,
placée au premier étage de l'aile ouest. Aujourd'hui
simplement meublée par deux banquettes circulaires,
elle pouvait accueillir jusqu'à 300 invités.
Son décor lambrissé et armorié, sa monumentale
cheminée ornée des statues des Neuf Preuses,
lui confèrent un aspect grandiose témoins des
fastes du Second Empire.
Comme Bodo Ebhardt
au Haut-Koenigsbourg, Viollet-le-Duc a ici laissé libre
cours à son imagination. Nous ne devons toutefois jamais
perdre de vue, malgré certaines outrances, que cet
homme de génie possédait un savoir encyclopédique
et maîtrisait parfaitement son sujet. Nous ne pouvons
en outre oublier qu'il fut en son temps un pionnier et qu'il
contribua largement à une prise de conscience collective
de la valeur fondamentale du patrimoine en France. Cela constitue
aussi une part de son héritage et nous lui en restons
redevables.
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