Guillaume le conquérant
:
Lorsqu'en 1059 le
duc de Normandie Guillaume le Conquérant (1035-1087)
parvint à faire valider à Rome son mariage avec
Mathilde de Flandre (ils étaient cousins à un
degré prohibé), il prit avec son épouse
l'engagement solennel de fonder deux établissements
monastiques, l'un pour les hommes, l'autre pour les femmes.
Son épouse se chargea de la construction de la Trinité
(abbaye aux Dames),
pendant qu'il s'occupa de celle de Saint-Etienne (abbaye aux
Hommes).
Le premier abbé
en fut Lanfranc de Pavie, son conseiller intime et ami, archevêque
de Canterbury à compter de 1070. Un contemporain (Guillaume
de Poitiers) rapporte en avant 1073 : " Ce fut, pour
ainsi dire, par une sainte violence qu'il l'établit
abbé du monastère de Caen, charge que Lanfranc
repoussait non moins par amour de l'humilité que par
la crainte de se voir élevé à un rang
supérieur. Dans la suite, il combla de possessions,
d'argent, d'or et d'ornements divers ce monastère qu'il
avait fondé et érigé à grands
frais sur un plan vaste et somptueux, monastère certainement
digne de saint Etienne, protomartyr, dont les reliques devaient
le rendre célèbre et en l'honneur duquel il
devait être dédié. "
Une inhumation perturbée
:
Guillaume renforça
le prestige de sa fondation en y faisant ensevelir sa dépouille,
en septembre 1087. Orderic Vital donne de l'inhumation une
narration assez glauque. Un certain Ascelin contesta d'abord
la propriété du terrain : " Cette terre
où vous vous trouvez, fut l'emplacement de la maison
de mon père ; cet homme pour lequel vous priez, n'étant
encore que duc de Normandie, la lui enleva violemment, et,
lui ayant refusé toute justice, y fonda cette église
dans l'abus de sa puissance. C'est pourquoi je réclame
ce terrain et le revendique ouvertement. De la part de Dieu,
je m'oppose à ce que le corps du ravisseur soit couvert
de ma terre et enseveli dans mon héritage. " Devant
l'insistance de d'importun, on finit par lui bailler une somme
d'argent et lui en promettre davantage contre son silence.
La cérémonie
put se poursuivre, mais connut bientôt une nouvelle
péripétie : " Cependant, comme on descendait
le corps dans la bière, et qu'on s'efforçait
de le plier, parce qu'elle se trouvait trop petite par la
maladresse des ouvriers, le ventre, qui était très
gras, creva, et une intolérable odeur frappa les personnes
qui l'environnaient ainsi que le reste du peuple. Vainement
la fumée de l'encens et des aromates s'élevait
copieusement des encensoirs : elle ne pouvait l'emporter sur
l'horrible puanteur qui s'exhalait. C'est pourquoi les prêtres
se hâtèrent de terminer la cérémonie,
et de se retirer de suite tout effrayés dans leurs
demeures. " Orderic conclut sur un sermon moralisateur
: " A l'aspect de la corruption de ce cadavre fangeux,
chacun est averti qu'il doit avec ferveur, par le travail
d'une salutaire continence, essayer d'obtenir des biens supérieurs
aux délices de la chair, qui est la terre et qui retourne
en poussière. "
|
L'outrage des siècles
:
La ville est conquise
par Philippe Auguste peu après la chute du Château-Gaillard
en 1204. Le chur de l'église abbatiale est entièrement
complété au XIIIe siècle et la croisée
est alors pourvue d'une tour lanterne élancée.
La cité subit de plein fouet les premiers combats de
la guerre de Cent Ans et est pillée par Edouard III
dès 1346. L'abbaye aux Hommes se trouve aux premières
loges.
Placée sous
le régime de la commende en 1485, elle n'est plus qu'une
source de revenus pour des abbés peu soucieux de la
discipline des moines. Mais ce sont les guerres de Religion
qui causent le plus de dégâts. Les huguenots
de passage dans le secteur la dévastent totalement
en 1563, dispersant notamment les ossements du Conquérant
ensevelis ici depuis cinq siècles. Il ne reste plus
aujourd'hui, sous la pierre tombale, qu'un fémur dont
on ne sait s'il appartenait réellement au vainqueur
de Hastings.
Après le passage
des protestants, l'abbaye est en déshérence
et menace ruine. La tour lanterne s'effondre en 1566 et l'on
parle de démolir l'ensemble. Le cloître et les
bâtiments conventuels n'existent plus. Les habitants
du cru utilisent les vestiges comme carrière de pierre.
Mais Dom Jehan de Baillehache, prieur de l'abbaye au XVIIe
siècle, ne l'entend pas de cette oreille et se consacre
à une véritable stabilisation de la structure.
Les mauristes, dans les murs à compter de 1663, se
livrent pour leur part à une véritable restauration,
néanmoins respectueuse de la forme première
de l'édifice, sur les plans du frère architecte
Guillaume de la Tremblaye. C'est ce dernier qui lance le chantier
des nouveaux bâtiments conventuels au début du
XVIIIe siècle.
La Révolution
disperse la communauté, mais l'abbaye est transformée
en lycée, ce qui la protège du sort funeste
de Jumièges et
de tant d'autres Biens Nationaux. Saint-Etienne échappe
à un ultime péril en juin 1944. Dès le
lendemain du jour J, les anglo-américains appliquent
à la ville la tactique du tapis de bombe. Etabli comme
îlot sanitaire, la fille du Conquérant échappe
au désastre, alors que la population civile s'est réfugiée
entre ses murs.
L'Hôtel de
Ville y est établi depuis 1965.
|