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MAJ le 14/03/2024
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Abbaye du Mont-Saint-Michel, Xe, XVIe siècle.


Textes et photos ©

Fondation :
  • Implantation en 708 d'une première communauté religieuse à l'initiative de l'évêque d'Avranches Aubert.
Sous le règne de :
  • Childebert III, roi des Francs (695-711).
Grandes dates :
  • 709 : Dédicace du premier oratoire sur le Mont Tombe.
  • 966 : Le duc de Normandie Richard Ier réimplante une communauté monastique sur le Mont Tombe.
  • 1020 : Début de la construction de l'abbatiale romane.
  • 1064 : A l'occasion d'un raid sur la Bretagne, Guillaume le Conquérant traverse le Couesnon. Le Mont est représenté sur la Tapisserie de Bayeux.
  • 1154 : Robert de Torigny abbé du Mont. Apogée de l'abbaye.
  • 1203 : Les Bretons dévastent et incendient l'abbaye. A l'exception de l'abbatiale et de Notre-Dame-Sous-Terre, presque toutes les constructions romanes et préromanes sont endommagées.
  • Après 1204 : Les rois de France financent la reconstruction de l'abbaye.
  • 1256 : Le roi Louis IX en visite au Mont.
  • 1311 : Le roi Philippe IV le Bel en visite au Mont.
  • 1421 : Effondrement du chœur de l'abbatiale romane.
  • 1424-1425 : Les Anglais assiègent vainement le Mont.
  • 1444 : Début de la reconstruction du chœur.
  • 1789 : La poignée de moines qui subsistaient encore derrière les vieux murs est expulsée par les Révolutionnaires.
  • 1811 : Le Mont devient prison.
  • 1836 : Visite de Victor Hugo au Mont : " le crapaud dans le reliquaire ".
  • 1866 : Napoléon III ferme la prison.
  • 1969 : Retour au Mont d'une communauté monastique.
Principal intérêt :
  • On ne présente plus ce joyau du patrimoine mondial. Son intérêt pour la compréhension de l'évolution de l'architecture monastique médiévale est absolument majeur. Le site naturel, un rocher planté au milieu d'une vaste baie recouverte par les eaux de la Manche au gré des marées, a largement contribué à sa renommée planétaire.
Statut :
  • Classé Monument Historique en 1862. Propriété de l'Etat.
Bibliographie :
  • Bély Lucien, " Le Mont Saint-Michel ", Rennes, 1976.
  • Christ Yvan, " 100 heures au Mont-Saint-Michel, Paris, 1976.
  • Decaëns Henry, " Le Mont-Saint-Michel ", La Pierre-qui-Vire, 1979.
  • Dosdat Monique, " L'enluminure romane au Mont-Saint-Michel, Xe-XIIe siècles ", Rennes,1991.
  • Joyeux Guylaine, " Le Mont Saint-Michel ", Cully, 1999.
  • Markale Jean, " Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du dragon ", Paris, 1988.
  • Musset Lucien, " Normandie romane tome I ", La Pierre-qui-Vire, 1967.

1) 2000 ans d'histoire :

Il semble que le Mont Tombe, à l'étymologie obscure (du latin " Tumulus " qui peut signifier à la fois sépulture et lieu élevé, ou du celte " Tun ", éminence), fut très tôt un lieu d'intenses dévotions. Cerné par la légendaire forêt de Scissy, ce tertre naturel servait vraisemblablement de lieu de cérémonie aux druides gaulois.

Lorsque débuta l'évangélisation de l'actuelle Normandie (le premier évêché attesté, celui de Rouen, apparaît au IIIe siècle), les membres du nouveau clergé mirent un soin tout particulier à occuper les emplacements précédemment voués au paganisme. C'est ainsi que s'installèrent probablement sur le Mont Tombe quelques ermites au milieu du VIe siècle.

C'est à l'évêque d'Avranches Aubert que nous devons en 708 l'implantation d'une première communauté cénobitique sur le fameux rocher. La légende rapporte que le pieux ministre de Dieu reçut nuitamment la visite de l'archange Michel, lui intimant l'ordre de bâtir sur le Mont un sanctuaire à sa gloire. Apeuré et incrédule, Aubert vit d'abord dans cette apparition surnaturelle l'œuvre de quelque diablotin envoyé là pour le tourmenter. Il ne fallut pas moins de trois tentatives au chef des milices célestes pour parvenir à ses fins. Lors de cette troisième et dernière rencontre, Michel se fit plus impérieux et posa son doigt sur la tête de l'évêque. Le pauvre clerc en conserva un trou dans le crâne. L'inspiration divine pouvait ainsi plus aisément y pénétrer. La relique de saint Aubert conservée en la basilique Saint-Gervais d'Avranches, fort opportunément découverte au XIe siècle, porte effectivement la trace d'un tel stigmate. Michel expliqua à Aubert qu'il trouverait sur l'îlot un taureau volé par un larron. C'est à cet endroit même qu'il devrait implanter un oratoire recouvrant l'exacte surface piétinée par l'animal.

Aubert obtempéra et trouva effectivement le taureau à l'endroit indiqué. Il s'empressa d'y bâtir l'oratoire réclamé. Il fut dédicacé le 16 octobre 709 et pourvu d'un collège de chanoines pour le desservir. Le Mont Tombe devint très vite un lieu de pèlerinage prisé.

L'archange est un habitué de ce type d'apparitions. La première recensée date de 490 et eut lieu au Monte Gargano, en Italie méridionale. Il affectionne les lieux élevés et les bovidés occupent souvent une place centrale dans sa légende. Il ordonne généralement de christianiser un site antérieurement dévolu aux rites païens. L'allégorie est saisissante : saint Michel (incarnation de l'esprit divin) terrasse sans cesse le dragon du paganisme (incarnation de l'esprit du mal) conformément aux versets de l'Apocalypse : " Il y eut un combat dans le ciel. Michaël et ses anges combattirent contre le dragon. Et le dragon lui aussi combattait avec ses anges. Mais il n'eut pas le dessus. Il ne se trouva pas de place pour eux dans le ciel. " (Ap. 12,7-8)

2) Une abbaye florissante :

Sans doute pillé durant les invasions scandinaves, le sanctuaire montois maintint néanmoins un semblant de vie cultuelle dans la tourmente. Quelques chanoines étaient encore présents dans les lieux lorsque le duc de Normandie Richard Ier (942-996) appela douze moines de Fontenelle (aujourd'hui l'abbaye de Saint-Wandrille) pour y fonder une abbaye (966) et y instaurer la sévère règle bénédictine.

L'institution naissante reçut en abondance biens et legs de toutes parts. Les ducs de Normandie figurèrent de loin au rang premier de ses bienfaiteurs et la puissance foncière de l'abbaye devint considérable. Dans la société médiévale, la terre constituait la principale source de richesse. La construction d'une grande église romane débuta vers 1020 pour s'achever vers 1080. Elle figure sur la fameuse Tapisserie de Bayeux, exécutée en Angleterre après 1070.

L'établissement atteignit son apogée au XIIe siècle. La sage administration des abbés Bernard le Vénérable (1131-1149) et Robert de Torigny (1154-1186) accrut encore son aura dans le nord-ouest européen. Sa bibliothèque et la qualité de son enseignement étaient particulièrement renommées et il fournit maints cadres à l'Eglise anglo-normande. De nombreux travaux furent réalisés à cette époque.

En 1203, l'abbaye prit une part active aux luttes entre le roi d'Angleterre et duc de Normandie Jean sans Terre et le roi de France Philippe Auguste, en choisissant ouvertement le camp du premier. Les Bretons, alliés du Capétien, tentèrent vainement de s'emparer du Mont la même année et y boutèrent le feu. La plupart des ouvrages conventuels édifiés au siècle précédent disparurent dans le sinistre. Il fallut donc reconstruire et c'est le roi de France en personne qui fournit les sommes nécessaires aux réparations sur sa cassette. De cette époque datent notamment les bâtiments de la Merveille (1211-1218). Le beau cloître à colonnettes fut achevé en 1228. L'abbaye s'enorgueillit d'au moins deux visites royales en ces temps désormais plus paisibles : Louis IX en 1256 et Philippe IV le Bel en 1311.

Mais le spectre de la guerre se réveilla à nouveau au milieu du XIVe siècle. Dès 1357, l'abbé Nicolas le Vitrier entamait l'élévation d'une enceinte protectrice. Il fallait autant se préserver des armées anglaises que des bandes de pillards sans foi ni loi qui sillonnaient les campagnes. L'abbaye fut néanmoins épargnée jusqu'au XVe siècle. Signe de mauvais augure, le chœur de l'abbatiale romane s'effondra en 1421. Les Anglais mettaient le siège devant le Mont Saint-Michel trois ans plus tard (28 septembre 1424). Ils lui imposèrent un blocus terrestre et maritime sans toutefois parvenir à isoler complètement le Mont : durant les nuits sans lune, les pêcheurs des environs parvenaient à ravitailler la citadelle. Le 24 juin 1425, une flotte originaire de Saint-Malo attaqua les bâtiments anglais et desserra l'étau. Elle donna au royaume de France l'une de ses rares victoires en ces temps de grande misère.

Louis d'Estouteville, commandant de la place à partir de 1425, renforça les défenses et résista courageusement à toutes les attaques avec simplement une poignée d'hommes à sa disposition.

3) Grandeur et décadence :

La première tâche qui incomba aux moines après guerre fut de reconstruire le chœur écroulé depuis 1421. Le chantier s'ouvrit en 1444 mais ne s'acheva qu'en 1521. A compter du milieu du XVIe siècle, l'abbaye entama son déclin et les pèlerins, source de profits, se firent plus rares. Elle n'était plus que l'ombre d'elle-même lorsque les révolutionnaires expulsèrent les derniers locataires, en 1789.

Les religieux revinrent à l'abbaye dès 1793, mais comme prisonniers. 300 d'entre eux ayant refusé allégeance à la République y furent internés jusqu'en 1795. Rebaptisé Mont Libre, les bâtiments furent convertis… en prison ! Un comble ! En 1811, ils devenaient maison centrale et en 1817, maison de force avec des quartiers de détention pour hommes et femmes, partageant en cela le sort de Clairvaux ou de Fontevraud. Vestige de cet âge carcéral, la grande roue à écureuil qui servait de monte-charge.

C'est paradoxalement cette étrange destinée qui la sauva de la destruction. A peu près à la même époque (1802), un marchand de bois de Canteleu (Seine-Maritime) sans scrupules achetait Jumièges pour la dépecer et l'hallali dura presque 50 ans.

Victor Hugo visita le Mont en 1836 et s'exaspéra d'un cinglant : " On croirait un crapaud dans un reliquaire. " Napoléon III mit fin à ce scandale en 1866 et l'abbaye commença à être restaurée. Elle constitue depuis l'un des joyaux du patrimoine français et une vie monastique y a repris en 1969. Mieux, le Mont Saint-Michel est reconnu depuis 1979 comme patrimoine mondial. Il est désormais intemporel et universel.

Les aménagements se succédèrent donc au Mont dix siècles durant. Ils se superposèrent les uns aux autres en un incroyable enchevêtrement de styles artistiques. Tous les grands courants architecturaux de l'époque médiévale y sont représentés : préroman (Notre-Dame-sous-Terre), roman (nef de l'abbatiale), tous les styles gothiques dans la Merveille, avec le cœur de l'abbatiale, le réfectoire des moines, la Salle dite des Chevaliers (ancien scriptorium), le cloître suspendu entre ciel et terre, et même néo-gothique (le clocher, sa flèche et son archange doré). La baie fait aujourd'hui l'objet de travaux gigantesques pour éviter l'ensablement du site.

4) Hugo et le Mont-Saint-Michel :

Rencontre de géants ! Deux monuments face à face! Le rêve de pierre émerveille le génie de la plume. La visite de Victor Hugo à la prison du Mont Saint-Michel (1836) arrache au grand écrivain ces quelques lignes d'anthologie adressées à sa femme :
" J'étais hier au Mont Saint-Michel. Ici, il faudrait entasser les superlatifs d'admiration, comme les hommes ont entassé les édifices sur les rochers et comme la nature a entassé les rochers sur les édifices. Mais j'aime mieux commencer platement par te dire, mon Adèle, que j'y ai fait un affreux déjeuner. Une vieille aubergiste bistre a trouvé moyen de me faire manger du poisson pourri au milieu de la mer. Et puis, comme on est sur la lisière de la Bretagne et de la Normandie, la malpropreté y est horrible, composée qu'elle est de la crasse normande et de la saleté bretonne qui se superposent à ce précieux point d'intersection. Croisement des races ou des crasses, comme tu voudras.

J'ai visité en détail et avec soin le château, l'église, l'abbaye, les cloîtres. C'est une dévastation turque. Figure-toi une prison, ce je ne sais quoi de difforme et de fétide qu'on appelle une prison, installé dans cette magnifique enveloppe du prêtre et du chevalier. Un crapaud dans un reliquaire. Quand donc comprendra-t-on en France la sainteté des monuments ? A l'extérieur, le Mont Saint-Michel apparaît comme une chose sublime, une pyramide merveilleuse assise sur un rocher énorme façonné et sculpté par le Moyen Age. À l'intérieur, le Mont Saint-Michel est misérable.

C'est un village immonde où l'on ne rencontre que des paysans sournois, des soldats ennuyés et un aumônier tel quel. Dans le château tout est bruit de verrous, bruit de métiers, des ombres qui gardent des ombres qui travaillent (pour gagner vingt-cinq sous par semaine), des spectres en guenilles qui se meurent dans des pénombres blafardes. Sous les vieux arceaux des moines, l'admirable salle des chevaliers devenue atelier où l'on regarde par une lucarne s'agiter des hommes hideux et gris qui ont l'air d'araignées énormes. La nef romane changée en réfectoire infect ; le charmant cloître à ogives transformé en promenoir sordide...

Voilà le Mont Saint-Michel maintenant.

Pour couronner le tout, au faîte de la pyramide, à la place où resplendissait la statue colossale dorée de l'archange, on voit se tourmenter quatre bâtons noirs. C'est le télégraphe. Là où s'était posée une pensée du ciel, le misérable tortillement des affaires de ce monde. C'est triste. "




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